LYNYRD SKYNYRD
Auteur : BERTRAND BOUARD
Editeur : LE MOT ET LE RESTE

La sortie d’un nouveau livre consacré à Lynyrd Skynyrd s’apparente toujours à une sorte d’évènement. Mais quand l’ouvrage en question est rédigé en français, il revêt alors une autre dimension car tout le monde ne maîtrise pas forcément l’anglais ou l’américain.
Cependant, écrire un tel bouquin relève d’une entreprise à haut risque tant la légende du groupe s’est construite sur des anecdotes véridiques mais aussi sur des histoires enjolivées ou complètement fausses. Et puis, même en lisant les sources officielles, on a du mal à démêler le vrai du faux. Quant aux interviews, on se demande quelquefois à qui se fier (le niveau de fiabilité variant selon la personne interrogée, ses motivations, sa rancœur éventuelle, l’acuité de ses souvenirs ou… son degré d’ébriété).

Personnellement, je ne suis pas journaliste, biographe ou historien. Je ne me considère pas comme un spécialiste de Lynyrd Skynyrd mais seulement comme un passionné sans aucune prétention. Au fil des années, j’ai collecté des articles de presse et des interviews du gang de Jacksonville. J’ai lu le travail considérable de Marley Brant ainsi que la collecte d’interviews réalisée par Lee Ballinger. J’ai beaucoup fouiné sur internet. J’ai recoupé les versions existantes sur divers évènements. Bref, dans mon coin, je me suis forgé ma petite opinion sur Lynyrd Skynyrd. Il ne va donc pas m’être facile de commenter de manière objective l’œuvre de Bertrand Bouard. Il faut déjà faire abstraction de sa collaboration à un magazine musical français bien connu qui a débité beaucoup d’idioties sur le combo dans les années soixante-dix. Bon, il ne peut en être tenu pour responsable puisqu’il est né en 1977.
De toute façon, n’étant pas un spécialiste, je ne pourrai pas formuler d’avis éclairé. Je me bornerai donc simplement à livrer mon ressenti et mes impressions.

D’abord, le côté positif.
L’auteur s’est largement inspiré des livres de Brant et de Ballinger mais aussi de ceux de Gene Odom (ami d’enfance de Ronnie Van Zant, promu chef de la sécurité et présent dans l’avion fatal) et de Ron Eckerman (tour manager du groupe, lui aussi victime du crash). Des ouvrages sérieux ! Il affiche d’ailleurs sa préférence pour Eckerman. Bon, c’est son choix. Il s’est aussi appuyé sur de nombreux articles de presse.
Il a titré ses chapitres avec des paroles extraites des chansons de Lynyrd Skynyrd en prenant soin d’y joindre la traduction.

Bertrand Bouard commence rapidement par une description des quelques instants précédant l’accident puis s’engage dans une reconstitution chronologique assez précise de l’histoire du groupe. Il a opté pour un style « journalistique » relativement clair, entrecoupé par moments de tournures littéraires plus compliquées (ce qui rend parfois la lecture un peu confuse).
N’ayant pas lu les travaux de Gene Odom et de Ron Eckerman, j’ai même appris quelques anecdotes que j’ignorais. Un point satisfaisant !

Tout en narrant l’épopée des musiciens de Jacksonville, l’auteur commente également leurs œuvres discographiques successives. Là, une seule alternative semble possible : ou il a puisé sans retenue dans les diverses chroniques parues au fil des décennies, ou bien il a réellement écouté ces albums et il s’y connaît assez bien en musique. Par contre, certains trouveront peut-être ces passages un peu trop poétiques. Personnellement, je pense qu’un vocabulaire plus rock ou « rentre-dedans » aurait mieux convenu, compte tenu de la rugosité musicale du groupe. Maintenant, si l’auteur préfère retranscrire les disques de Lynyrd Skynyrd à grands coups d’envolées lyriques, ça le regarde.
Et puis, comme le dit si justement mon meilleur ami, « décrire de la musique avec des mots est très difficile ».

Bertrand Bouard n’hésite pas non plus à donner les différentes versions d’un fait controversé, rendant ainsi le lecteur capable de juger par lui-même. Une initiative bienvenue !

Il ne tombe surtout pas dans le piège grossier concernant la polémique sur « Sweet home Alabama » et explique bien que Lynyrd Skynyrd ne peut pas être considéré comme un groupe raciste et réactionnaire. Une bonne vision des choses !

L’auteur rapporte l’essentiel du déroulement de l’enregistrement de « Street survivors », même si les choses se sont passées de manière bien plus complexe dans la réalité.

Pour finir, il raconte relativement bien les circonstances de l’accident d’avion et la vie des musiciens survivants après la tragédie. Il relate aussi assez fidèlement, quoique brièvement, l’aventure du Rossington-Collins Band et la reformation de Lynyrd Skynyrd (du Tribute Tour de 1987 à nos jours).

Tout cela semble donc relativement engageant mais il faut maintenant aborder le mauvais côté des choses.
Dans un premier temps, on peut déplorer le manque de photos (seulement trois tirages pleine page) et la densité réduite du livre (176 pages seulement pour un format du double d’un livre de poche). Beaucoup d’anecdotes n’apparaissent donc pas dans ce bouquin. Maintenant, j’ignore tout du contrat qu’a signé l’auteur avec sa maison d’édition et du nombre négocié de pages.

Mais ce n’est pas le pire.
D’abord, il est facile d’écrire en avertissement que certains ouvrages « sont émaillés d’erreurs factuelles » à condition de ne pas en commettre soi-même.
Et ça commence avec une bourde de taille concernant Ronnie Van Zant qui n’est pas né le 15 juin mais le 15 janvier 1948 (page 14). Rien de moins !
Bon, peut-être s’agit-il d’une faute typographique.

Cependant, quelques autres affirmations me semblent être sujettes à caution. Attention ! Les lignes qui vont suivre n’engagent que moi et ne reflètent que mes impressions personnelles, basées sur ma propre documentation ainsi que sur l’absence de certains faits dans les nombreuses interviews que j’ai consultées.
D’un autre côté, peut-on réellement se fier aux interviews (la personne interrogée pouvant raconter ce qui lui chante) ?

Quant aux articles de fond, ce n’est guère mieux, la presse ayant raconté tout et n’importe quoi au sujet de Lynyrd Skynyrd.

Les propos suivants ne sont donc pas la parole d’un expert mais mon simple avis.
Tout d’abord, selon moi, l’auteur n’insiste pas suffisamment sur l’énorme influence du groupe Free sur Ronnie et ses potes (bien plus que les Rolling Stones).

Il semblerait que Lynyrd Skynyrd n’ait pas été le premier projet du Studio One de Doraville (page 46), les deux premiers albums d’Atlanta Rythm Section y ayant été enregistrés en 1971 et 1972.

Bertrand Bouard semble également s’inspirer de certains articles parus sur internet (notamment une ancienne coupure de presse sur le site Skynyrdfrynds) en citant une tournée de 1973 durant laquelle Lynyrd Skynyrd aurait ouvert pour BB King ou Muddy Waters (page 53). Pour ma part, je crois que la journaliste de l’époque a confondu avec ZZ Top. Aucune mention n’est faite de ces premières parties dans les diverses déclarations ou interviews des musiciens. Étonnant de la part de mecs qui adoraient les grands bluesmen. Il convient donc de prendre cette information avec la plus grande réserve. Attention, cette remarque n’engage que moi !

La déclaration de Ronnie Van Zant à l’égard d’Eric Clapton comme quoi Lynyrd Skynyrd allait lui « botter le cul » en assurant sa première partie (page 60) paraît étonnante. Les chevelus de Jacksonville avaient trop de respect pour le guitariste. Qu’ils aient mis la sauce à fond comme d’habitude, sûrement. Mais je doute que Ronnie et ses potes se soient exprimés en ces termes. L’auteur a sans doute cité une source hasardeuse (une coupure de presse tapageuse ou le témoignage peu fiable d’un tiers). Je doute que Ronnie, même bourré, ait parlé de cette façon à l’une de ses idoles. Cette anecdote ne figure pas dans ma documentation personnelle mais je ne possède pas tout ce qui existe sur Lynyrd Skynyrd. De toute façon, même si l’on me mettait sous le nez une preuve « officielle », je resterais quand même sceptique.

Suggérer que le Charlie Daniels Band se rapproche de l’Allman Brothers Band et comparer ces deux groupes sur le plan de la virtuosité (page 66) ne me semble pas très judicieux. En effet, ces deux formations évoluent dans un registre musical complètement différent.
De même, je ne vois pas trop le rapport entre Johnny Winter et Allen Collins (page 67), Johnny ne s’étant jamais essayé au southern rock et les deux guitaristes possédant un phrasé bien distinct.

L’anecdote de l’envoi par Elvis Presley d’une douzaine de roses à chacun des membres de Lynyrd Skynyrd (pour avoir détrôné son record de fréquentation du Memphis Stadium) reste difficilement vérifiable et appartient peut-être à la légende urbaine (page 71).

De même, la rencontre entre le King, James Brown et Ronnie Van Zant (page 72) me paraît bien douteuse. Là, je pense que Bertrand Bouard a commis une faute en prenant au pied de la lettre la préface de Lee Ballinger. L’auteur américain raconte simplement une fable décrivant une réunion improbable entre les trois chanteurs, prétexte à poser les bases inhérentes de l’héritage des artistes sudistes (musique, religion, survie, cuisine, méthodes de travail). Il s’agit d’une allégorie visant à placer Ronnie Van Zant avec les plus grands et non d’une histoire véridique.
La tentation de céder au sensationnel est forte mais la vérification des faits doit demeurer la règle, cette rencontre n’étant mentionnée nulle part ailleurs. Si cela s’était réellement produit, Ronnie n’aurait certainement pas manqué de le raconter lors d’une de ses nombreuses interviews (même si je ne possède pas tout, d’autres sources auraient cité cette anecdote). En plus, je vois mal Elvis dans une chambre d’hôtel alors qu’il invitait tout le monde dans sa luxueuse demeure de Graceland.

En 1975, Artimus Pyle avait sans doute signé depuis longtemps les papiers de décès de son père (page 75), ce dernier étant mort quatre ans plus tôt dans un accident d’avion (suite à cette tragédie, le corps des Marines avait libéré Artimus de son engagement en 1971).

Tout en commentant la pochette de « Gimme back my bullets » (page 90), l’auteur aurait pu glisser un mot sur son envers (les musiciens ont tracé devant eux les lettres CDB sur le sol, en hommage au Charlie Daniels Band).

Steve Gaines résidait à Seneca en Oklahoma et non dans le Missouri (page 95). Curieusement, à la page suivante, l’auteur indique que Steve habite avec sa femme et sa fille dans une ferme en Oklahoma (ce qui est parfaitement exact). Bizarre !

Que l’ancien pilote de Jerry Lee Lewis ait été un temps au service de Lynyrd Skynyrd, pourquoi pas. Mais je ne pense pas que le groupe ait acheté l’avion de Jerry Lee. Selon Marley Brant, il en était fortement question mais l’affaire n’avait apparemment pas été conclue (peut-être Ron Eckerman donne t’il une autre version dans son livre). Alors, même si cela aurait fait bien rock n’ roll dans le tableau, je doute que les durs à cuire de Jacksonville se soient crashés avec le zinc du Killer. C’est le pauvre Ricky Nelson qui a racheté l’avion de Jerry Lee et qui s’est planté avec en 1985. Et puis, si ce diable de Jerry Lee avait vendu deux fois de suite des avions défectueux ayant entraîné la mort de plusieurs légendes du rock, cela figurerait dans sa biographie. En tout cas, je n’en ai trouvé de traces nulle part (mais j’ai peut-être mal cherché).

Bertrand Bouard donne les différentes versions relatives à l’accident d’avion mais, étrangement, il ne cite pas celle d’Artimus Pyle qui a déclaré s’être lancé seul à la recherche de secours. Pourtant, la version du batteur demeure un témoignage officiel (même si Artimus a peut-être légèrement enjolivé son récit).

L’album « Returned to the scene of the crime », réalisé par Gary Rossington et sa femme Dale en 1986, n’est pas sorti sous l’appellation The Rossington Band mais sous le titre Rossington tout court (Page 145). Par contre, le couple a bien enregistré le disque « Love your man » en 1988 sous le nom The Rossington Band.

Sur l’album « Legend » de 1987, « Mr Banker » n’est pas un blues acoustique (page 159), Ed King et Gary Rossington jouant sur des guitares électriques en son clair.

Je ne suis pas tellement d’accord avec Bertarnd Bouard quand il écrit que l’album « 1991 » subit « un syndrome du cahier des charges, un enfermement dans des codes » (page (157). Pour moi, « 1991 » est sans doute le meilleur disque du Lynyrd Skynyrd reformé. Après, à chacun son avis.

Enfin, concernant les albums du Lynyrd Skynyrd contemporain, l’auteur passe directement de « Twenty » à « God & guns » sans même parler de l’excellent « Vicious cycle » (peut-être la réalisation la plus efficace de la formation avec Hughie Thomasson et Rickey Medlocke).

Bon, c’est fini. Encore une fois, ce ne sont pas les propos d’un expert, juste le ressenti d’un passionné qui peut se tromper.
Maintenant, voici le difficile moment de la conclusion.
Il faut être juste. Bertrand Bouard a fourni un gros travail de collecte d’informations et d’anecdotes, même s’il ne les a pas toutes vérifiées.
Il a surtout le mérite d’avoir écrit un recueil en français sur Lynyrd Skynyrd. Alors, on peut l’excuser pour les quelques incohérences qui parsèment son bouquin.
En toute honnêteté, ce petit livre résume relativement bien les aventures et la carrière de Ronnie Van Zant et de ses copains, à condition que le lecteur ne prenne pas pour argent comptant quelques anecdotes trop sensationnelles.
Cet ouvrage s’adressera plutôt aux fans de Lynyrd Skynyrd (ainsi qu’aux personnes désireuses de découvrir l’histoire du groupe) qui ne lisent pas l’anglais ou n’ont pas la chance d’avoir un traducteur dans leurs relations.
Il leur permettra alors de se plonger dans la fantastique épopée de ces Sudistes chevelus, musiciens d’exception, entrés tragiquement dans la légende… et qui continuent toujours de nous faire rêver quarante après.
Olivier Aubry

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